« Ghazal ma vieille, t’es contaminée, t’es comploteuse, t’es j… »

[Mai 2023]

Le décor

« Les bruits tombaient dans un espace aphone, sans résonance, un brasier de soufre consumait l’air.

D’innombrables veinules vert-de-gris défiguraient la façade de leur réseau de pourritures.

La maison tombait en ruines, la poussière s’accumulait sur les étoffes lacérées par l’usure, les meubles estropiés, les sièges défoncés.

Se reflétait à l’infini dans les miroirs qui les encerclaient et qui réfléchissaient toute la rue avec sa foule, sa cohue, sa mouvance, ses lumières comme si les murs et les plafonds s’étaient subitement effondrés, laissant se promener impunément parmi eux des chats galeux et des ibis qui souillaient les valises de leurs excréments crémeux.

La rue grouillait, les ventres s’écrasaient, les corps se frôlaient, s’agglutinaient, se fuyaient… un pullulement moléculaire dans un bain de vapeur…

Les rues sont des serpents noirs noués les uns aux autres, gluant d’asphalte pustuleuse.

Du sang teintait le soleil, les objets volaient en éclats, un délire tordait les bras noirs des rues, les maisons s’entrechoquaient dans le vacarme de sa folie… »

Ce n’est pas du Stephen King.

La menace…

Exclus des lieux publics, rebutés, fuis, les proscrits furent réduits à la solitude et à la peur…

Les lignes téléphoniques étaient surveillées, la sienne surtout.

Il y avait des noms à peine chuchotés, ceux des emprisonnés, des expulsés, enrobés dans un silence froid comme un linceul. Ce salon était une tombe qui les enfermaient vivants.

Le désarroi scellait ses lèvres, mettant une pierre dans son estomac. Pourquoi la châtiait-on ?

Immobile dans la pénombre, il l’observait de son regard fixe d’obsidienne.

Des gens qui auparavant condescendaient à la saluer de loin, à présent la fuyaient comme si elle était atteinte de maladies contagieuses.

Ni du Kafka.

La fin d’un monde…

Un air de culpabilité clandestine entachait ces furtives visites.

On ne parlait pas de politique, on se remémorait les évènements prosaïques de l’existence…

Le thé, les gâteaux, la compagnie créait une ambiance de fête, de joie factice.

Puis au fil des arrestations et des dénonciations anonymes, ils en vinrent à se cacher les uns des autres, craignant d’être reconnus. Mais le lien de servitude qui les reliait les amenait, malgré leur fuite, à se guetter dans la masse humaine qui les noyait. Ils se reconnaissaient à certains stigmates : l’anxiété camouflée sous l’apparente indifférence, la réserve distante mais hyperactive, la désinvolture démentie par la perspicacité du regard, l’angoisse battant à fleur de peau opiniâtrement dissimulée.

Cette maison foisonnant de souvenirs était un refuge, un invulnérable bastion contre le doute. Les objets étaient toujours là, garants de la stabilité…

L’objet qu’elle saisissait, la chambre où elle entrait, le lieu où elle allait semblait lui crier : regarde-moi bien, c’est peut-être la dernière fois que tu me vois.

Pas plus que du Llosa.

Le déni…

Mais il aurait suffi qu’une seule fenêtre s’ouvrît pour que confrontés à la foule, les victimes prissent la mesure de la haine qui s’amoncelait sur leur tête et qui les engloutirait s’ils persévéraient à la nier.

Ces gens parlaient du lendemain, comme si leur départ imminent n’était pas une évidence qui crevait les yeux.

C’était comme si des êtres fictifs qui prétendaient exister, se réunissaient pour tenter de jouer à vivre…

Ni même du Kadaré.

Les mots pour ne pas le dire…

Un cordon sanitaire construit dans le vocabulaire officiel l’isolait du reste des humains…

Il y a des mots que non seulement on oublie mais que l’on enterre définitivement.

Elle prit le carnet où elle notait soigneusement le lexique des mots imprononçables car dangereux… Elle avait créé un autre lexique contenant les mots détournés de leur sens premier. C’est là qu’elle inscrivit le mot « complot ».

Non plus que du Orwell.

Fuir…

Elle les écoutait causer. Comment se résignaient-ils à cette existence étriquée et sans horizon, alors qu’elles n’étaient que plaies ? Ne voyaient-ils donc pas ? N’avaient-ils pas d’yeux, pas d’oreilles ?

Chacun savait qu’il s’exilerait, personne n’en parlait.

Une crainte superstitieuse la gagnait à voir tous ces gens attendant au milieu des ballots.

Et on me dit : Sois heureuse ingrate, t’as tout pour être heureuse !

Quand partirons-nous ? Partons !

Non plus que du Camus.

Le passage à l’acte

Les rues se vidaient rapidement, des boutiques fermées, des passants pressés… quelque chose se préparait en ce torride silence.

La foule compacte entrait et sortait des Figuiers. Les vitres étaient brisées, les portes arrachées. Des gens emportaient des murs, des pierres, d’autres s’en allaient les bras chargés d’objets. Ailleurs on se battait pour un lit, un matelas.

Le sang avait giclé sur les murs, le sol.

Non plus que du Sansal.

Non, il s’agit de BAT YE’ OR qui nous raconte les derniers moments de Ghazal, une jeune femme qui vit dans le pays de ses aïeux, l’Égypte des années 70, échappant de peu à l’ultime pogrom qui anéantit sa famille :

Ghazal est aussi le titre du troisième volet d’une Saga éditée par Les Provinciales : Moise – Élie – Ghazal

Ah, sachez quand même qu’il y a un HAPPY ENDJ-PL

Jean-Pierre Lledo, MABATIM.INFO

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