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1.
Le tragique incident survenu samedi dernier à la frontière entre Israël et l’Égypte, au cours duquel trois jeunes soldats ont trouvé la mort sous les tirs d’un policier égyptien armé d’un fusil et d’un Coran, n’interroge pas seulement les procédures et dispositions militaires en vigueur à cet endroit, et plus généralement, sur l’ensemble de la frontière entre Israël et l’Égypte d’une part, et entre Israël et la Jordanie d’autre part. (Cet incident rappelle d’ailleurs un autre incident tragique survenu sur la frontière jordanienne, au cours duquel un policier jordanien avait tué plusieurs adolescents israéliens).
Ce qui est en jeu dépasse de loin les aspects purement techniques ou militaires : il s’agit de la « conception » qui préside aux relations bilatérales entre Israël et l’Égypte depuis plusieurs décennies. Deux éléments édifiants méritent d’être mentionnés à cet égard : le premier est le fait que le ministre égyptien de la Défense a publié un communiqué évoquant les « victimes des deux côtés », en mettant sur le même plan les trois soldats israéliens et leur assassin égyptien, sans que cette déclaration scandaleuse ait, à ma connaissance, suscité de protestation officielle d’Israël.
2.
Le deuxième élément est l’expression entendue à la radio de l’armée israélienne, Galei Tsahal, de « frontières de paix » (gvoulot shalom) pour désigner la frontière israélo-égyptienne. Nous avons appris depuis samedi que le passage par lequel s’était introduit le policier égyptien pour commettre son attaque meurtrière était fermé par de simples menottes en plastique, qu’il n’a pas eu de mal à découper pour s’introduire sur le territoire israélien. Ce que signifient ces différents éléments, lorsqu’on les réunit, est que l’idée qu’Israël se fait de la paix avec l’Égypte est tout aussi erronée aujourd’hui qu’elle l’était hier.
Ce qui est apparu, plus précisément, à l’occasion de ce dramatique incident de frontière, c’est le gouffre qui sépare en effet la conception israélienne de la paix de la conception égyptienne. Quand Israël parle de « retour à la normale » et de « frontière de paix », l’Égypte de son côté, met sur le même plan son policier assassin et les soldats israéliens victimes. Cette dissonance n’est pas fortuite ; car ce gouffre conceptuel existe depuis les débuts de la paix froide entre Israël et l’Égypte.
3.
Dans son livre Être Israël, publié au lendemain des accords de Camp David1, Paul Giniewski évoque ses sentiments mitigés en écoutant le discours de Sadate à la Knesset ;
« J’écoute. Ma déception augmente. Le mot paix revient de plus en plus souvent : [Sadate :] “Je prononce le mot paix, et que la miséricorde de Dieu tout-puissant soit sur vous, et que la paix vienne pour nous tous. Paix sur toutes les terres arabes, et paix sur Israël ! ” Mais en même temps, l’accusation devient de plus en plus précise. Sadate est venu à la Knesset pour dénoncer Israël ! […] Je viens d’entendre ce qui, chez les Arabes, fait l’unanimité des modérés et de ceux du camp du refus. Les uns réclament la destruction d’Israël. Les autres acceptent son existence, au prix de concessions qui conduiront à sa destruction : la restitution des territoires, un État palestinien. La différence est dans les mots, dans le style, mais pas dans le but final… »
Giniewski rapporte aussi les mots de Golda Meir, la dame de fer d’Israël, interrogée sur les accords de Camp David par un journaliste, qui lui déclare :
« Sadate et Begin méritent le prix Nobel de la paix ». Elle sourit : – « Peut-être aussi l’oscar du cinéma ? ».
À la buvette du Parlement, où les députés se congratulaient avant le discours [de Sadate], je l’entends dire de sa voix désabusée :
« Vous attendez le Messie ? Quand nous sommes allés au kilomètre 1012, [le général] Aharon Yariv négociait avec un officier égyptien. Nous avons aussi cru que c’était le Messie. Mes enfants, quand le Messie viendra, il ne s’arrêtera pas au kilomètre 101 ».
Alors comme aujourd’hui, Israël conçoit la paix à l’aune de la vision messianique d’une paix éternelle (notion laïcisée dans la pensée politique européenne, à travers le concept de la paix kantien)3.
L’Égypte de son côté, s’en tient à la vision classique de la « trêve » islamique (Houdna) et d’une « paix en échange des territoires ». En d’autres termes, l’Égypte – qui a récemment introduit des forces armées dans le Sinaï en violation des accords de Camp David – ne considère la paix que comme un moyen d’obtenir des avantages, financiers, économiques ou militaires. Israël serait bien inspiré de revoir, après le tragique incident qui a coûté la vie à trois jeunes soldats, l’ensemble de sa doctrine stratégique concernant la paix avec l’Égypte. PL♦

Pierre Lurçat, Vu de Jérusalem
1 Paul Giniewski, Être Israël, Stock 1978.
2 Lieu où se déroulèrent les pourparlers de cessez-le-feu entre le général israélien Aharon Yariv et le général égyptien Gamassi qui mirent officiellement fin à la guerre de Kippour.
3 Sujet que j’aborde dans mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016.
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Malgré le discours décevant de Sadate devant la Knesset en 1977, il y a tout de même la présence cette année-là en Israël de l’Egyptien le plus important: en Israël dont on ne prononçait même pas le nom dans le monde arabe (encore vrai partiellement aujourd’hui). L’équivalent trois millénaires plus tôt aurait été Pharaon en personne! Sadate a tout de même dit: « Nous vous appelions le soi-disant Israël ». C’était une révolution et il l’a payée de sa vie. Il ne faut jamais être trop naïf et prendre tout ce qui brille pour de l’or. Tout le Sinaï perdu par l’hitlérien Nasser en 1967, et resté sous le contrôle d’Israël encore quelques années après la guerre du Kippour, Sadate l’a récupéré sans un coup de feu. Au simple « prix » des relations diplomatiques qui existent dans le monde entier entre amis comme entre ennemis. Il ne faut jamais se bercer d’illusions. Mais malgré l’hostilité absolue qui règne en Egypte comme par exemple au Liban, on ne voit pas ce qu’Israël ferait pendant des siècles au bord du canal de Suez ou à Beyrouth. Ce qu’il faut après l’assassinat des trois malheureux soldats israéliens, c’est exiger de l’Egypte la punition la plus grave de l’assassin sous peine de représailles, et être impitoyable avec les commanditaires et les incitateurs, à rechercher jusqu’au bout du monde. Comme ce fut le cas après l’assassinat des athlètes israéliens à Munich en 1972. Comme pour tous les assassins de Juifs israéliens. C’est cela, une fois pour toutes, qui fait la différence entre le sionisme enfin concrétisé par l’Etat en 1948 et tous les massacres perpétrés pendant les deux millénaires qui ont précédé. Les relations diplomatiques avec l’Egypte sont d’aussi bonnes choses qu’avec les autres pays du monde. Ces relations multiples, aussi souhaitables soient-elles, ne présentent qu’un seul danger: celui de faire rêver quelques irresponsables en Israël même. Tout historien sérieux connaît le résultat de la conférence internationale d’Evian en 1938 qui signait pour les Juifs la fermeture des frontières en même temps que leur arrêt de mort en les livrant à Hitler.
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LURCAT a bien raison de faire ces rappels de toutes les façons les égyptiens voyant revenir les Juifs ils disaient que ce serait pour profiter de os ressources mentales et inventions et de ce que nous produirions en Israël . Pour faire quoi pour nous laisser en bénéficier ou pour faire exactement ce que notre condition de dhimmis en terre dislam nous a fait faire ? Cest-à-dire nous laisser construire richesse etc pour ensuite venir tout nous prendre ? En ce sens le donne des territoires est le premier pas pour nous enlever le reste . Toujours la même mentalité mahométane. Ce que les égyptiens font à déployer des troupes est de la provocation à laquelle il faut répondre . Cest pas pour les 10 juifs qui restaient en Egypte que ça va changer la donne ni encore quand lambassadrice dIsraël étai coincée là bas complètement isolée prise au piège quoi et le fait de parler de la victime égyptienne prouve bien que ils soutiennent le terrorisme en dépit des salades que racontait AL SISSI.
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« Israël serait bien inspiré de revoir, après le tragique incident qui a coûté la vie à trois jeunes soldats, l’ensemble de sa doctrine stratégique concernant la paix avec l’Égypte »
Merci Monsieur Lurçat pour votre lucidité.
J’ajouterais si vous me le permettez que plus nous avançons dans ce brouillard d’une paix qui ne semble pas la même entre les pays musulmans et Israël et plus nous nous enfonçons dans une désespérante naïveté qui nous nuit et dont notre peuple paye tous les jours un prix élevé.
Dans ces moments de tristesse et déception je suis de tout coeur avec les familles de nos chers soldats.
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