La nouvelle perception d’Israël au Moyen-Orient

Par Mordechai Kedar,

[4 août 2023]

La révolte contre la réforme juridique a généré une nouvelle image ou plutôt une nouvelle perception d’Israël au Moyen-Orient. À la suite de la révolte, les pays de la région voient Israël, à tort ou à raison, comme affaibli, déchiré, plus vulnérable. Israël apparaît, tel Samson privé de sa chevelure.

Pour comprendre les raisons de la détérioration de l’image d’Israël, il faut remonter au mois de juillet 2022, lorsque Yaïr Lapid devient premier ministre. Le lendemain de sa prise de fonction, le Hezbollah, par provocation, envoie 3 drones, probablement non armés, en direction du champ pétrolier israélien « Karish » (requin). Lapid s’affole et dans cet affolement veut faire aboutir, coûte que coûte, les négociations sur le tracé de la frontière maritime entre Israël et le Liban.

À la fin de sa mandature, juste avant les nouvelles élections législatives, le gouvernement Lapid, au lieu d’expédier les affaires courantes, signe un accord à la hâte, hautement stratégique, (sûrement pas prioritaire, d’un gouvernement en fin de vie), dans lequel Israël abandonne honteusement au profit du Liban, 800 km² de son domaine économique maritime et où selon les études d’experts il y a d’importantes réserves de gaz.

Pour le monde entier, il est devenu clair qu’Israël a capitulé devant les menaces du Liban et du Hezbollah.

Cette capitulation a asséné un coup brutal à l’image d’Israël. Avant la signature de « l’accord » avec le Liban, Israël était perçu comme un État fort, dissuasif, efficace et résolu. Après les élections, le gouvernement de droite, sous la direction de Benyamin Netanyahou, arrive aux affaires. À l’investiture du nouveau gouvernement, l’image d’Israël, passablement dégradée par « l’accord » avec le Liban continue à se détériorer, car l’opposition de gauche fait de l’obstruction pour le vote des nouvelles lois, afin de mettre le gouvernement en difficulté. Alors que le ministre de la justice Yariv Levin propose une nouvelle loi concernant la nomination de la Cour Suprême, pour rééquilibrer les rapports entre l’autorité législative et l’autorité juridique, à savoir la Cour suprême, l’opposition à cette loi jaillit hors de la Knesset et se répand dans la rue, créant des manifestations « monstres », surtout à Tel-Aviv et sa région.

Le mouvement prend des formes inconnues jusqu’alors en Israël. Cela fait 30 semaines que les manifestations violentes se déroulent dans le pays, blocage d’Ayalon (périphérique de Tel-Aviv), dégradations du mobilier urbain, grèves de journalistes, débrayages des personnels hospitaliers. Bref, des désordres généralisés, surtout à Tel-Aviv et sa région. Tout cela continue de dégrader l’image d’Israël, surtout au Moyen-Orient. On peut distinguer au moins cinq domaines, où cette dégradation est la plus flagrante.

1. Le domaine militaire

Lorsque des unités d’élite : commandos d’état-major, unité 8200 (guerre cyber et électronique), commandos marines, pilotes et d’autres annoncent leur intention de refuser d’effectuer leurs périodes de réserve, en protestation contre la nouvelle loi juridique, sous le prétexte qu’elle « détruit la démocratie israélienne », cette armée qui apparaît comme incapable d’imposer la discipline dans ses rangs, est perçue par les pays musulmans, où toute faiblesse est méprisée, comme une « serpillière ».

2. Le domaine institutionnel régalien

Le parlement, le gouvernement, la police sont vus comme impuissants à imposer leur volonté à la rue et incompétents pour ramener le calme dans le pays. Le pouvoir régalien semble sans moyens pour luter contre les financements étrangers de la contestation. Le gouvernement ne montre aucune velléité coercitive légale contre des gens comme Ehoud Barak, Ehoud Olmert (anciens Premiers ministres), Dan Haloutz (ancien chef d’état-major, notamment lors de la désastreuse 2 guerre du Liban) et d’autres « verseurs de l’huile sur le feu ». Au Moyen-Orient, où seule la force est respectée et redoutée, un pouvoir incapable d’employer « la manière forte », sera toujours considéré comme « une toile d’araignée, qui se déchire au moindre souffle », selon les dires de Nasrallah, chef du Hezbollah.

3. Le domaine idéologique sioniste

Les Israéliens étaient vus comme un peuple ancré dans les valeurs juives, dans leur assertion la plus large, sûr de son droit historique à la terre d’Israël, uni dans l’adversité, malgré toutes ses différences, toujours prêts à combattre pour défendre sa patrie. Bref, le peuple juif revenu sur sa terre ancestrale et bien décidé y rester. Or, depuis six mois, à cause des évènements dramatiques qui se déroulent en Israël, l’image du peuple juif uni, se brise.

Les ennemis du pays voient une société déchirée, plongée dans des conflits entre différentes composantes de la population.

4. L’économie

L’économie d’Israël était forte, inflation faible, la dette du pays 60 %; l’une des plus faibles des pays industrialisés, le plein emploi (chômage moins de 5 %), réserves de la Banque d’Israël au plus haut, high-tech israélien l’un des plus performants du monde, Israël dispose d’une des industries d’armement les plus modernes. Cependant, à la suite des bouleversements des six derniers mois, apparaît le phénomène de la fuite des capitaux, investissements étrangers en baisse, des médecins, des professeurs quittent le pays, des chefs d’entreprises délocalisent aux États-Unis ou en Asie à cause « du danger de la mort de la démocratie ».

Tout cela crée chez les ennemis d’Israël et d’autres, la perception d’une économie qui s’affaiblit et qui se fragilise de jour en jour, alors qu’il n’en est rien.

5. Domaine de la politique extérieure

La diplomatie d’Israël avait renoué avec les succès : accords d’Abraham, normalisation avec le Maroc, même l’Europe était intéressée à améliorer sa position politique à l’égard d’Israël. Nombre de pays africains se montraient désireux de rétablir des liens diplomatiques ; même avec les Russes il y avait un certain équilibre stratégique… Et puis, depuis six mois, l’Amérique est plus frileuse dans ses rapports avec Israël, l’Europe est plus attentiste, l’Arabie Saoudite temporise et se tourne vers l’Iran, car elle doute de la puissance militaire d’Israël. Bref, alors que depuis une décennie Israël était considéré comme influant politiquement dans la région, depuis six mois, l’image d’un pays avec lequel il faut compter au Moyen-Orient, s’ébrèche et se dégrade.

Au Moyen-Orient, concernant les aspects énumérés plus haut et dans d’autres domaines, on regarde une personne, un dirigeant ou un pays à travers « des lunettes mesurant la force ». Être fort, c’est le critère dominant de l’islam en général et dans les pays arabes, en particulier. En Europe, le critère c’est l’économie, aux États-Unis c’est l’argent et l’idéologie, pour l’instant, capitaliste.

« Au Moyen-Orient si tu es fort on te respecte, on te craint, on fait la paix avec toi, car on redoute ton armée, on commerce avec toi, bref « on te calcule »…

Depuis des années, Israël était incontournable au Moyen-Orient, et même l’Iran, qui voudrait coloniser toute la région et qui veut la destruction d’Israël, ne pouvait pas ignorer la position, le poids politique et stratégique d’Israël. Aujourd’hui, Israël aurait perdu cette image d’État fort et les pays l’environnant le perçoivent faible et instable. Cela ne veut pas dire que telle est la réalité, mais c’est la perception qu’en ont surtout les ennemis d’Israël dans la région.

Pour illustrer la différence entre la puissance réelle et l’image d’Israël perçue au Moyen-Orient, on peut donner l’exemple suivant. On suppose, à tort ou à raison, que pour un avion de combat il y a une quinzaine de pilotes formés à l’utiliser.

Alors, que deux ou trois d’entre eux ne se présentent pas aux entraînements, ne constitue pas une perte des capacités opérationnelles de l’aviation.

Mais le refus public, répercuté par les médias nationaux et internationaux de deux ou trois pilotes à s’entraîner, génère des dommages irréversibles à l’image de la puissance régionale du pays. Il est probable que les autres branches de l’armée fonctionnent de la même façon.

Au Moyen-Orient, l’image d’un pays est plus importante que sa situation réelle.

Le Hezbollah, le Hamas et le Djihad Islamique qui n’attendent qu’une occasion pour attaquer Israël, scrutent la situation du pays et « se frottent les mains », car cette fois-ci, ils estiment pouvoir défaire cet « ennemi arrogant ». Le cas de l’Arabie Saoudite illustre très bien la dégradation de l’image d’Israël auprès des pays musulmans. Avant le début des protestations en Israël, couraient des bruits de couloir au Département d’État américain, amplifiés par les médias israéliens et américains, d’un rapprochement d’Israël et de l’Arabie Saoudite. Apparemment, sous les pressions de l’Administration Biden et d’Israël, le royaume saoudien voyait positivement une lente, progressive et discrète pour le moment, normalisation avec Israël.

Il est peu probable que cette initiative soit venue d’Arabie Saoudite. Ce serait la partie américaine initiatrice de cette politique de « petits pas ». Avant la fin de son mandat, Biden veut absolument inscrire un succès diplomatique, pour « faire la pige » à Donald Trump, lequel a signé un succès historique avec les accords d’Abraham. Toutefois, l’Arabie Saoudite voyant l’image d’Israël s’éroder, témoignant de sa faiblesse (réelle ou supposée), présente des exigences préalables, à l’adresse d’Israël, qui doit annoncer : la création d’un État palestinien, la validation de la proposition saoudienne de paix de 2002, ne jamais annexer la Vallée du Jourdain, que Jérusalem deviendra la capitale du futur État palestinien, etc., etc. Bref, le prix de la normalisation avec l’Arabie Saoudite, devient exorbitant à cause de la dégradation de l’image d’Israël.

Les dommages causés par la contestation dans les rues israéliennes sont des dommages STRATÉGIQUES, d’autant plus que la contestation contre la loi juridique, afin de sauvegarder la « juridocratie », n’était en fait, qu’un prétexte et le Zoom de Barak a prouvé, trois ans avant la proposition de la fameuse loi, que l’ancien 1ᵉʳ ministre a programmé la chute d’un gouvernement de droite, par la violence, s’il le fallait, alors que la majorité de la population a bien voté à droite. Aucun égard pour le pays, pour le peuple ni pour la démocratie. Pourquoi ? Parce que dans son délire idéologique, la gauche considère, que le vote du peuple est erroné et que par ce vote « on a volé » le pays aux « bons » dirigeants d’Israël.

En conclusion, le Moyen-Orient est devenu, à la suite de la destruction de l’image d’Israël, plus dangereux et plus problématique, pour la survie de l’unique pays juif au monde. Il devient urgent pour le salut d’Israël, d’arriver à un vrai dialogue de toutes les tendances politiques, car le temps travaille contre le pays et contre le Peuple juif. EG

Édouard Gris, MABATIM.INFO
Traduction et adaptation

2 commentaires

  1. Même si le gouvernement Israélien n’est pas exempt de torts (la présence des ultra religieux dans les arcanes du pouvoir est un vrai problème), il est clair aujourd’hui que cette opposition est largement encouragée par la propagande antisémite venue non pas du Moyen-Orient mais un peu d’Europe et surtout des États-Unis.
    Les USA sont de très loin la plus grande source de désinformation planétaire, et la population Israélienne (en particulier la partie bourgeoise de sa population) n’est pas épargnée par sa propagande toxique.

    Un fait selon moi extrêmement grave et révélateur : parmi les figures médiatiques israeliennes prenant part aux discours enflammés (et souvent delirants) contre le gouvernement figurent nombre d’individus ayant publiquement apporté leur soutien à BLM, cette mouvance d’extrême droite suprémaciste raciste, et bien sûr viscéralement antisémite ( version afro-américaine du KKK).
    Que l’Europe soit lobotomisée par la désinformation issue des USA est un fait acquis mais si une partie des Israéliens eux-mêmes vénèrent certains de leurs pires ennemis, alors il y a de quoi s’inquiéter.
    Pour revenir aux ingérences étrangères, celle du parti racialiste, raciste et antisémite de Biden joue actuellement un rôle central. Or les USA sont les maîtres absolus en la matière . Nombre de coups d’Etat déguisés en révolutions sont leurs œuvres, et la plupart des Israéliens n’ont toujours pas compris que les USA post 2000, (qui ont totalement changé de visage) ne leur veulent pas du bien.

    PS : la France et l’Europe n’ayant absolument plus rien de démocratique, ces discours sur la « démocratie menacée en Israël » dans nos pays relève du délire. Mais certains Israéliens, mal informés de ce qui se passe en Amérique et en Europe, y sont très perméables.

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  2. Cela déchire le coeur – Comment redresser la barre est maintenant le plus grand défi. Merci pour cet article.

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