de Claude Lanzmann France 2013
par Roger Chemouni
Claude Lanzmann, historien de la Shoah, se penche sur le cas du rabbin Benjamin Murmelstein qui fut le dernier président du JUDENRAT (Conseil Juif) de Theresienstadt (Terezin), sis aujourd’hui en République tchèque à soixante km au Nord Ouest de Prague. Ce camp de concentration est connu pour avoir servi de mise en scène monstrueuse faisant croire que ce lieu est une « Ville modèle » voireune cité heureuse qui ne maltraite point sa population juive. De faux magasins et cafés sont construits, des concerts, conférences et matchs de foot ont lieu devant un public en bonne santé apparente. Hormis ce leurre qui berna l’envoyé de la Croix Rouge – Claude

Juin 2014
Lanzmann a réalisé en 1997 un documentaire, titré « Un vivant qui passe », qui utilise une interview accordée en 1979 par Maurice Rossel, ledit représentant.
Les nazis firent un film de propagande de cette mascarade intitulé «(Der Führer schenkt den Juden eine Stadt – Le Führer donne une ville aux Juifs). Tous les participants seront ensuite déportés à Auschwitz. Par ailleurs, le camp fut étonnamment un lieu de création artistique où se dégageait une vie culturelle de qualité (musique, dessins, peintures de créateurs extraordinaires travaillant discrètement de nuit).
Claude Lanzmann filma à Rome en 1975 ce survivant à qui on avait reproché d’être, outre encore en vie, d’avoir coopéré avec les nazis, notamment Eichmann, au point de n’avoir jamais été en Israël malgré son envie et son amour pour cette terre. Une fois arrêté, il fit dix-huit mois de prison avant qu’aucune charge ne soit retenue contre lui, d’où son exil en Italie.
L’homme est intelligent, captivant, parle sans langue de bois, vocifère parfois quand il évoque les conclusions d’Hannah Arendt qu’il trouve risibles quand elle parle de la banalité de cet infâme nazi qu’il a côtoyé durant sept années. Hors ses digressions, ce témoin capital et singulier, se montre un conteur persuasif. Il ne se fâche guère, il est sous le charme du journaliste à qui il offre en primeur sa première interview tentant d’expliquer, via sa mémoire impressionnante, son rôle ambivalent de leader de la communauté juive de Vienne contrôlée par Adolf Eichmann pendant la période nazie. Lui qui fut le troisième, ses prédécesseurs ayant été éliminés par balles, doyen juif dans le camp de concentration de Terezín, se montre sarcastique, moqueur sincère et déroutant en somme malgré son livre de 1961, Terezin, « il ghetto modello di Eichmann ». En 1989 à sa mort, le Grand-Rabbin de Rome refusa que Benjamin Murmelstein soit inhumé à côté de sa femme.
Lanzmann, après ses différents travaux cinématographiques, se montre comme un meneur de jeu hors-pair, plaçant ses questions et ses réparties à bon escient, évitant le dialogue condescendant et les questions sans pertinence. La sincérité transparaît des deux côtés, son modèle se critique parfois, comprend la véhémence voisine et son isolement, et sa conversation dès lors se présente comme une joute où la vérité, ou du moins une grande partie, doit poindre. Lanzmann rappelle qu’il n’y a eu que peu de « vrais collabos » chez les juifs, le protagoniste en fait fi, il se revendique en référence au « Dernier des Justes » d’André Schwarz-Bart, comme « Le dernier des injustes ». Il restera peut-être une énigme et son portrait par Lanzman peut être une réponse courageuse aux interrogations de l’Histoire. RC♦