Par Coralie Fiori-Khayat *
Dr. Gilles UZZAN, éd. DEGLAY, 2017, Prix Paul FLEURY 2017
« Être Juif, c’est quoi ? ». C’est à la réflexion, souvent aporétique, sur cette question ancienne que le Docteur Gilles UZZAN, médecin psychiatre, apporte une contribution fine et émouvante dans son premier roman, Isaac et Lola, paru cet été aux éditions DEGLAY et récompensé par le Prix Paul FLEURY du Groupement des Ecrivains Médecins.
Le Dr. UZZAN, qui conçoit l’écriture fictionnelle comme une forme d’évasion quasiment thérapeutique, nous propose de cheminer avec deux êtres que tout devrait séparer mais qui surmontent leurs différences par un amour absolu et réciproque. En dépit de sa brièveté (« j’ai voulu un roman qui se lise dans un Paris-Lyon », nous disait l’auteur lors d’une interview), Isaac et Lola offre un double niveau de lecture. Une histoire d’amour, compliquée voire franchement douloureuse parfois, d’une part ; une réflexion sur le judaïsme, d’autre part.
L’histoire d’amour, très simple, peut se rencontrer dans n’importe quelle famille – encore que l’auteur ait choisi de la situer dans le milieu orthodoxe le plus strict. Isaac, fils du Grand Rabbin Dov Ber (rescapé de Buchenwald), étudie à la Yeshiva et s’apprête à prendre la succession de son père. Les hasards de la vie l’amènent à secourir une jeune femme, Lola, dont il tombe éperdument amoureux. Mais Lola n’est pas Juive. Dès lors, les deux amoureux sont confrontés à un dilemme, résumé par Yoni, le meilleur ami d’Isaac : soit celui-ci abandonne le Judaïsme (du moins dans sa forme orthodoxe), soit Lola devient juive. Reste que le poids de l’hérédité pour Isaac, élevé loin du monde séculier et voué à devenir rabbin, réduit sérieusement sa marge de manœuvre.
L’évolution de la réflexion de l’un et de l’autre, les vicissitudes et chagrins liés aux difficultés de surmonter les différences, sont narrées avec finesse, sans jargon ni fioriture : bien que témoignant d’une véritable érudition, l’auteur prend grand soin de rendre son message intelligible à des lecteurs profanes – on salue, à cet égard, la présence d’un lexique, bien commode, en fin d’ouvrage !
Quoique la personnalité d’Isaac soit touchante par le questionnement auquel il est soumis et par l’épreuve à laquelle il se confronte, c’est la figure de Lola qui est la plus fascinante. Comment et pourquoi une jeune femme moderne, qui a ses entrées en discothèque et travaille comme infirmière, décide-t-elle d’embrasser le judaïsme orthodoxe ? Plus étonnant encore, pourquoi le fait-elle indépendamment de l’amour qu’elle éprouve pour Isaac ? Et le peut-elle seulement, tant le judaïsme semble hermétique à toute idée de conversion ?
La réponse à ces questions – qui, dans le fond, charpentent véritablement le roman – nous amène au second niveau de lecture. Avec beaucoup de finesse, le Dr UZZAN nous invite à une réflexion très approfondie sur l’universalité des valeurs juives. Hillel ne définissait-il pas le judaïsme comme « ne pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’autrui te fasse ; le reste n’est que commentaire. Maintenant, va et étudie » ? Respect et acceptation de l’autre ; étude : autant de valeurs cardinales qui définissent le judaïsme. La justice, la paix, la vérité – trois piliers du judaïsme, trois valeurs que Lola partageait déjà et qu’elle cultive davantage encore au long de son parcours de conversion. Si la Torah est sur la Terre, parmi les hommes, alors tout un chacun peut s’en approprier les valeurs et promouvoir son message.
« N’oublie pas que nous croyons au même Dieu » – telle est la réponse de Mgr François au Rav Ber, qui lui fait part des tourments que lui cause son fils. L’homme d’Eglise, Juste parmi les nations pour avoir sauvé des enfants au péril de sa vie, et le rabbin rescapé de Buchenwald sont liés par une indéfectible amitié. Bien sûr, on pourrait objecter à Mgr François qu’il n’est pas nécessaire de croire pour être Juif. Ce ne serait pas lui faire injure, tant le Dr. UZZAN nous rappelle l’universalité des valeurs juives. A cet égard, l’auteur – très marqué par la pensée de Maïmonide et, partant, par l’école du post-aristotélisme – fait la part belle à une forme de panthéisme hassidique et à une forme de sécularisation à travers une analyse de la pensée de Rabbi Na’hman – qui mérite d’être connue.
« Tu es mon esprit et je suis ton cœur ». Cette phrase de Lola, prononcée au début du roman, claque comme un formidable message d’espoir. Il n’existe pas d’obstacle insurmontable et on peut espérer surmonter les épreuves, si haute que soit la marche. L’espoir, un autre pilier du judaïsme…
Isaac et Lola, qui en apprendra certainement beaucoup à nombre de Juifs, saura toucher ceux qui, Juifs ou non, s’interrogent sur l’identité juive. Il saura aussi guider ceux qui cheminent – ou envisagent de cheminer – pour rejoindre ce peuple. CFK♦
* Professeur de droit
Lire également :
Isaac et Lola, au-delà des différences
Merci pour cette critique.
Mais peut on parler de critique ici ? Non, il s agit plutot d’une véritable analyse du contenu d un livre comme on en trouve dans les revues littéraires ou philosophique. , En fait, une incitation à lire ce livre. Je fonce acheter Isaac et Lola, une idée du judaïsme et de l Amour qui à l air de me correspondre…
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