Par Liliane Messika
Henry Ford disait que ses clients pouvaient choisir n’importe quelle couleur pour la voiture qu’ils lui achetaient, pourvu que ce fût du noir.
Il circule beaucoup plus de Mercedes et de Renault que de Ford, à Alger, mais il semble que les autorités algériennes aient choisi le constructeur américain comme modèle : dans leur pays, on peut pratiquer en toute liberté n’importe quelle religion, pourvu que ce soit l’islam.
En 1991, la fête de nos voisins algériens n’a pas réjoui grand monde chez nous
Cette année-là, après trois ans de violences, des élections eurent lieu en Algérie, qui portèrent au pouvoir le FIS, Front islamique du salut. Il accédait démocratiquement aux commandes du pays avec le projet officiel d’en éradiquer la démocratie pour y substituer la sharia.
En occident, « le droit international » et « l’élection démocratique » sont des valeurs absolues qu’il n’est question ni de contester ni même de bouder.
C’est dire si les analystes se sentaient mal dans leurs Nike, pris entre l’enclume d’un État islamique s’installant en bordure de l’Europe et le marteau d’une intervention pour contrer un processus démocratique.
A posteriori, on a vu que les futurologues avaient eu tort
Entre ceux qui pariaient que les islamistes deviendraient magiquement « modérés » en arrivant au pouvoir et ceux qui espéraient un sursaut de la « société civile » pour juguler cette menace à nos portes, vraisemblablement personne n’avait prévu que la guerre civile durerait plus de dix ans et ferait plusieurs centaines de milliers de morts dans les deux camps, qui s’accusaient l’un l’autre de l’escalade des exactions meurtrières.
En Algérie, les premières victimes au sens chronologique ont été les intellectuels et au sens numérique les femmes. Les étrangers et les non musulmans, quels que soient leurs passeports, ont également payé un lourd tribut à cette guerre de religion, euh guerre civile.
Finalement, tout le monde y est passé et la contagion a atteint notre rive de la Méditerranée en 1995.

La sharia connaît 3 sortes d’humains : les musulmans, les dhimmis* et les à-tuer
Dans les années 1990 et suivantes, la dhimma n’existait plus officiellement, seulement officieusement. La dhimma (« Protection » en français) est la loi qui subjuguait les non musulmans aux musulmans et qui exigeait d’eux qu’ils paient un impôt et subissent d’innombrables brimades en échange de leur survie comme citoyens de deuxième zone.
La survie des dhimmis, chrétiens ou juifs, dépendait de l’humeur de leur entourage : il suffisait d’une accusation de « prosélytisme » ou « d’insulte à l’islam » pour faire exécuter son voisin.
En ce qui concerne les Juifs, la question fut vite réglée : la petite centaine qui restait après l’exode d’une centaine de milliers au cours de l’été 1962, partit à ce moment-là.
Convertir à l’islam est un devoir. Convertir un musulman est un crime
La sharia est redevenue d’actualité en Algérie fin février 2006. Le prosélytisme autre qu’islamique est lourdement sanctionné, comme l’est, pour les musulmans, la conversion à une autre religion que l’islam.
Celui qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion » encourt deux à cinq ans de prison et amende pouvant atteindre un million de dinars. Mêmes peines pour celui qui « fabrique, entrepose ou distribue des documents imprimés ou montages audio-visuels, ou tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi d’un musulman. »
C’est ainsi qu’un prêtre d’Oran, Pierre Wallez, a été condamné en 2007 à un an de prison pour s’être rendu dans un bidonville proche de la frontière marocaine et y avoir célébré une messe à la demande de chrétiens immigrés du Cameroun.
Le 2 poids 2 mesures algérien est l’inverse de celui que pratique la France
« En France, les musulmans obtiennent des droits, et nous, chrétiens algériens, on nous les enlève. Nous demandons seulement 1 % de la liberté religieuse en Algérie dont jouissent les ressortissants et descendants algériens musulmans en France, pas plus. » C’est Mustapha Krim, qui le dit. Il a été président de l’Église Protestante d’Algérie de 2007 à 2014.
En 2008, il avait signalé que pendant les trois premiers mois de l’année, dix temples protestants avaient été fermés d’autorité, sans explication.
Est-ce à cette époque que l’affiche annonçant un concert au profit des chrétiens d’Orient dans le métro parisien avait été interdite pour prosélytisme euh, pour contravention à la laïcité ?
Interviewer un ennemi, c’est de l’intelligence
Mustapha Krim exerçait son ministère de pasteur à Bejaïa. C’est justement dans cette ville qu’un blogueur kabyle, Merzoug Touati, a été condamné à dix ans de prison (non incluse l’année et demie de détention préventive) pour « intelligence avec l’ennemi ».
La preuve est irréfutable : pas très fufute, le blogueur avait publié, en 2017, l’interview d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien.
En effet, à l’époque où la nouvelle loi de Finances algérienne avait suscité des émeutes, un ministre, Abdelmedjid Tebboune, avait déclaré publiquement que c’était la faute d’Israël.
Ce type d’accusation est si chronique dans les pays arabo-musulmans qu’il est surprenant que pour une fois, quelqu’un ait voulu offrir à l’accusé un« droit de réponse ». C’est en organisant une interview par Skype avec un porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien que Merzoug Touati a gagné ses galons d’espion.
Le porte-parole en question se nomme Hassan Ka’abiya. C’est un Bédouin né dans le nord d’Israël. Les bédouins sont musulmans (ce qui va sans dire va encore mieux en le répétant) et il est donc le fonctionnaire de l’État juif (vous savez, celui qui pratique l’apartheid !) à qui le gouvernement juif confie le soin des relations avec la presse de langue arabe.
Merzoug Touati a commis l’irréparable : il a interrogé par Skype ce porte-parole musulman sur les relations entre l’État hébreu et les pays arabes et il a diffusé la vidéo.
Dix ans de taule, c’est pas la mort…
L’intelligence tout court, en l’occurrence avec l’ennemi, qui est la faute reprochée à Touati, est passible de la peine de mort, mais le procureur n’avait requis « que » la perpétuité.
C’est donc pour « intelligence avec une puissance étrangère pour nuire à la situation militaire ou diplomatique de l’Algérie », qu’il va passer les dix prochaines années derrière les barreaux.
Amnesty International et Reporters sans frontière l’avaient soutenu, portant à la décharge de l’accusé les pages Facebook incriminées, dont des copies d’écran avaient été réalisées avant que l’État algérien les ferme définitivement. Elles étaient anodines et démontraient clairement l’inanité de l’accusation.
Mais quand on veut abattre son chien, on dit qu’il a la rage et on jette les prélèvements médicaux qui attestent de sa bonne santé.
Ni le premier ni le dernier intelligent
En mai dernier, la Cour d’appel de Ghardaïa avait confirmé la peine capitale à laquelle avait été condamné Alem Dine Fawzi, citoyen libérien d’origine libanaise, pour pratiquement le même motif que Marzoug Touati à Bejaia : « espionnage au profit d’une puissance étrangère (Israël) et constitution d’une bande criminelle dans le cadre d’un projet collectif visant à porter gravement atteinte à l’Algérie ».
Six autres accusés, de différentes nationalités subsahariennes non arabes, ont pris 10 ans de prison et une amende d’un million de dinars (environ 10000€) chacun.
En décembre 2016, c’est un journaliste algérien, Mohamed Tamalt, condamné à deux ans de prison pour « offense au président de la République », qui était décédé en prison.
Trois mois de grève de la faim, trois mois de coma, the end.
Amnesty international avait appelé à « ouvrir une enquête indépendante, approfondie et transparente sur les circonstances de sa mort ». Personne ne sera surpris d’apprendre que cette demande était restée sans suite.
Les derniers finiront par être les premiers
Le classement mondial de la liberté de la presse, établi chaque année par Reporters sans frontières sur 180 pays, montre que l’Algérie dégringole régulièrement : 119ème en 2015, 129ème en 2016, 136ème en 2018, deux places derrière la Palestine, où on emprisonne les journalistes pour un oui, pour un non ou pour un nom et où le « travail » des correspondants étrangers consiste à recopier les communiqués des autorités.
La course à la dernière place est serrée…LM♦
27 mai 2018
* Voir Danielle Khayat : « La dhimmitude » ou le sort des non musulmans en terre islamique
Bravo Madame Messika pour vos analyses toujours très justes.
Je m’étonne que nos démocraties supposées intelligentes puisque ouvertes, soient si promptes à accepter le risque d’être enfermées par ces courants islamistes au nom de notre tolérance. A moins que cette acceptation ne soit que le fruit d’une arithmétique électorale
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