La maladie comme remède

Au XIXᵉ siècle, Freud a découvert « l’hystérie » : l’ensemble des maux psychosomatiques dont souffraient surtout des femmes. En 2003, la bloggeuse Christine Miserandino, a inventé The Spoon Theory, la théorie de la cuiller, qui a donné naissance à la version contemporaine de l’hystérie.

Les « spoonies » et la théorie de la cuillerée

Le mot « spoonie », créé par Miserandino, vient de sa théorie originale : les gens souffrant d’une maladie chronique n’ont que très peu d’énergie à dépenser, aussi doivent-ils choisir à quoi affecter chaque « cuillerée » de leur stock. La théorie a muté pour aboutir à un univers dans lequel les malades, les Spoonies, se définissent par leur stock réduit de cuillerées d’énergie. De quoi souffrent-ils ? Quelle maladie les affaiblit à ce point ? La réponse n’est pas génétique, ni familiale, mais c’est une famille à elle toute seule : les maux des Spoonies sont rarement enfants uniques. Il s’agit de maladies chroniques invisibles, parfois graves, comme la sclérose en plaques ou la maladie de Crohn, mais rarement. Ce qui prédomine, ce sont les maladies polymorphes, difficiles à diagnostiquer et présentant des tableaux cliniques individualisés, souvent dans la sphère digestive ou gynécologique. Liste non exhaustive : syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), endométriose, syndrome de tachycardie orthostatique posturale (SOTP), gastroparésie1, fibromyalgie2, sans oublier l’encéphalomyélite myalgique, autre nom d’une fatigue chronique, que certains Spoonies ont attribuée au Covid.

Le spoonisme est la quête sans fin d’un diagnostic, une lutte incessante pour être pris au sérieux, pour être soigné, recevoir des soins et de l’attention, bref une « sensibilisation », pour utiliser le terme en spoonie dans le texte. Le mal est contemporain du Web2, la pathologie se développant dans la blogosphère, sur Facebook, YouTube, Instagram et TikTok.

Contagion et attention

Pendant la pandémie du Covid, le Wall Street Journal a enquêté sur une autre épidémie mondiale : des tics qui ne touchaient que des adolescentes. Les tics sont majoritairement conjugués au masculin. Or, cette forme féminine, rare et multiple, s’était développée soudainement.

Après avoir étudié les patientes pendant des mois et avoir beaucoup échangé, les experts hospitaliers pédiatriques américains, canadiens, australiens et britanniques ont découvert que la plupart des filles avaient un point commun à leurs tics, qui n’étaient pas des TOCs : TikTok.

Le patient 0 était un influenceur britannique, qui répétait le mot « bean » (haricot) à tire-larigot.

Selon le Dr Katie Kompoliti, neurologue au Rush University Medical Center, le spoonisme de ces adolescentes était symptomatique d’une

« maladie sociogénique de masse. C’est-à-dire qu’ils sont générés par l’anxiété dans la plupart des cas, ou par une autre comorbidité, et ensuite propagés par la facilité de TikTok (ResearchGate). »

Ce qui va sans dire va encore mieux en citant le Dr Paulina Assaf, psychothérapeute au Pain Reprocessing Therapy Center (Centre de retraitement thérapeutique de la douleur) de Beverly Hills, un cabinet où la liste d’attente est d’environ 200 patients. D’après elle, le bénéfice secondaire est la principale raison pour laquelle l’état des patientes ne s’améliore pas. Il explique aussi la succession de leurs pathologies :

« Il peut y avoir quelque chose que vous gagnez à avoir ce diagnostic, comme le fait que cela vous empêche d’avoir un travail que vous détestez, ou des responsabilités que vous ne voulez pas assumer. »

Produits dérivés

Une des Spoonies a expliqué à son médecin qu’elle jalousait une sienne consœur en maladie, qui avait trouvé des sponsors : elle faisait la promotion de comprimés de sel contre les vertiges provoqués par le POTS, elle utilisait une pochette de pilules en cuir végétalien et consommait des biscuits énergétiques pleins de probiotiques, commercialisés avec le slogan « Les filles sexy ont des escarres ».

« Et lorsque le malade aime sa maladie,
Qu’il a peine à souffrir que l’on y remédie ! »
Corneille (Le Cid)

LM♦

Liliane Messika, MABATIM.INFO


1 Trouble caractérisé par un ralentissement des mouvements de l’estomac associé à une baisse de leur amplitude.

2 Affection chronique, caractérisée par des douleurs diffuses persistantes et une sensibilité à la pression souvent associées à une fatigue intense, des troubles du sommeil, etc.

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